Le pays des autres by Leïla Slimani

Le pays des autres by Leïla Slimani

Auteur:Leïla Slimani [Slimani, Leïla]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2020-01-27T07:39:15+00:00


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Quand il apprit la mort de son beau-père, Amine dit : « Tu sais que je l’aimais beaucoup », et il ne mentait pas. Il avait immédiatement ressenti une vive amitié pour cet homme franc et joyeux, qui l’avait accueilli dans sa famille sans aucun préjugé et sans paternalisme. Amine et Mathilde s’étaient mariés dans l’église du village alsacien où Georges était né. À Meknès, personne ne le savait et Amine avait fait promettre à sa femme de garder le secret. « C’est un crime grave. Ils ne comprendraient pas. » Personne n’avait vu les photographies prises à la sortie de la cérémonie. Le photographe avait demandé à Mathilde de descendre de deux marches pour être à la même hauteur que son époux. « Sinon, avait-il expliqué, c’est un peu ridicule. » Pour l’organisation de la fête, Georges céda à tous les caprices de sa fille à qui il glissait parfois quelques billets dans la main, en secret d’Irène que les dépenses inutiles consternaient. Lui comprenait qu’on ait besoin de jouir, de se trouver beau, et il ne jugeait pas la frivolité de son enfant.

Jamais Amine ne vit d’hommes aussi soûls que ce soir-là. Georges ne marchait pas, il tanguait, il s’accrochait aux épaules des femmes, il dansait pour masquer son étourdissement. Vers minuit, il se jeta sur son gendre et il enserra son cou dans son coude, comme on le fait à un garçon bagarreur. Georges n’était pas conscient de sa force et Amine pensa qu’il pourrait le tuer, lui rompre le cou par excès d’affection. Il entraîna Amine vers le fond de la salle surchauffée où quelques couples dansaient sous des guirlandes de lampions. Ils s’accoudèrent au comptoir en bois et Georges commanda deux bières sans prêter attention à Amine qui agitait les mains pour refuser. Il se sentait déjà tellement ivre et il avait même dû se cacher, quelques minutes auparavant, pour vomir derrière la grange. Georges le fit boire, pour mesurer sa résistance, pour le faire parler. Il le fit boire parce que c’était la seule façon qu’il connaissait de nouer une amitié, d’établir un lien de confiance. Comme les enfants qui s’entaillent le poignet et scellent un serment dans le sang, Georges voulut noyer dans des litres de bière son affection pour son gendre. Amine avait des haut-le-cœur et il ne cessait pas de roter. Il chercha Mathilde des yeux mais la mariée semblait avoir disparu. Georges le saisit aux épaules et l’entraîna dans des conversations d’ivrogne. Avec son fort accent alsacien, il prit l’assistance à témoin : « Dieu seul sait que je n’ai rien contre les Africains ni contre les croyants de ta race. D’ailleurs, je ne connais rien à l’Afrique si tu veux savoir. » Abrutis par l’alcool, les hommes autour d’eux ricanèrent, leurs lèvres humides pendaient. Le nom de ce continent continua de résonner dans leur crâne, évoquant des femmes aux seins nus, des hommes en pagne, des fermes s’étendant à perte de vue et cernées par une végétation tropicale. Ils



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